de polo66 » Lun 23 Mai 2022 16:12
Mon CR.
Alors celle-là, j’avoue que je ne sais pas trop pourquoi je m’y suis inscrit.
Bordeaux-Paris c’est une épreuve mythique aux yeux de tout bon cycliste qui se respecte, mais dans mon cas elle n’évoque pas grand-chose à vrai dire.
Bon, à ma décharge mon passé cycliste a toujours tourné le dos au bitume et mes idoles d’hier ne roulaient pas sur de fins tubes d’acier au rythme du sifflement des boyaux.
Non, mes repères étaient plus d’anciens hippies à la barbe hirsute dévalant les collines de la Californie sur de vieux clunkers hors d’âge. De vrais Mountain Bikers !
Bref, je cherchais une épreuve adaptée au pignon fixe.
Oui, avec l’âge on évolue et je suis passé du côté obscur du cyclisme en enlevant les crampons, les suspensions et pire, en me rasant les jambes. Le déclin je vous dis!
Donc ce Bordeaux Paris colle parfaitement au pignon fixe : un format « sprint » de 660 kms avec 5600m de positif, donc un parcours vallonné très propice à mon braquet (50x15) et seulement une nuit à passer sur le vélo, donc parfait pour récupérer très rapidement.
Je pars à moitié dans l’inconnu puisqu’en 50x15 je n’ai jamais dépassé 300 kms.
D’expérience je sais que ce braquet est beaucoup moins fatiguant que le 42x16 que j’ai sur l’autre fixe. Je tourne très peu les jambes, donc ça me correspond bien (bon, sauf si ça roule à 45!).
En fait ma seule véritable inquiétude c’est de savoir si je vais tenir le rythme ! Il y a de très gros rouleurs au départ (un ancien vainqueur de la RAAM, un détenteur de record du 100 km sur piste) et je sais que sur le plat je manque cruellement de puissance pour pouvoir suivre. Autant dans les bosses je passe bien mais dès qu’il faut mettre du braquet et dégager de la puissance pure, je coince. Et l’idée de rouler seul ne m’enchante guère car je vais perdre beaucoup de temps par rapport aux groupes. Oui, dans le cyclisme traditionnel, la prise en compte de l’aéro est primordiale, contrairement à nos hippies barbus dont c’est le cadet de leurs soucis. Rouler en peloton, petite parenthèse pour les néophytes, permet de rouler plus vite en se fatiguant beaucoup moins.
J’espère juste aussi que mon corps résistera, genoux et chevilles, à cet effort prolongé constant puisqu’en fixe (toujours pour les non cyclistes) on ne peut pas s’arrêter de pédaler.
Ceci amène la question qui revient perpétuellement : pourquoi ?
Alors je n’ai pas la réponse ! Je citerai plutôt un grand maître du pignon fixe, Monsieur Thierry Saint Léger : pourquoi des vitesses ?
Cette réponse, il m’a fallu quelques années de pratique pour la comprendre.
Me voilà donc devant mon écran pour m’inscrire, jeune (enfin plus trop maintenant!) profane vététiste, sur un monument du cyclisme.
Le choix de la monture étant fait, restait la logistique assez simple : aller en train à Bordeaux et redescendre en train de Paris, tout le reste étant géré par l’organisation.
Et franchement, c’est du caviar une telle épreuve.
Je commence à être habitué aux évènements longue distance en autonomie et là j’avoue que c’est presque reposant de n’avoir rien à gérer.
Donc, niveau logistique, on peut laisser un sac au départ que l’on récupère à l’arrivée et comble du luxe, un sac à mi-parcours pour s’alléger ou au contraire mettre des affaires pour affronter la nuit, et en cela le point de contrôle au km 355 est idéalement placé.
De plus ceux qui ont une housse peuvent la laisser au départ et la récupérer à l’arrivée.
Bref, sur le papier, une organisation au top ! Sur le terrain aussi d’ailleurs.
Départ de la maison en train, pas de retard cette fois (je me comprends) et j’arrive à Bordeaux le vendredi midi.
Je passe vite fait récupérer la plaque et le tracker avant de filer chez Max et Sabrina chez qui je passerai la nuit (décidé au dernier moment à cause du Covid!).
Resto qui va bien, balade digestive en ville puis retour au village de départ pour récupérer le maillot offert et passer le vélo au contrôle.
Là, agréable surprise, je ne suis pas le seul en fixe ! Un jeune (oui, maintenant ils sont tous jeunes par rapport à moi, le déclin je vous dis!) avec un beau Surly noir est présent. On échange quelques mots et il s’avère qu’il vient rouler de temps en temps sur Perpignan. Dommage, je n’ai pas pris ses coordonnées.
Bon, le soir, je n’ai pas « fait le métier » comme on dit dans les milieux autorisés. Gros apéro improvisé jusqu’à un peu tard mais pas trop.
Max doit se lever à 04h00 le lendemain pour aller faire un BRM de 400 kms.
J’ai là aussi largement scruté la météo en amont et pour une fois le beau temps nous accompagnera tout au long de cette traversée.
De bon matin la température est clémente et je pars juste en tenue d’été, cuissard et maillot court.
Je retrouve sur la linge de départ Matthieu de Zéfal qui part avant moi et Alin qui est dans ma vague.
En théorie les départs se font par groupe de 6 mais là on est seulement 4. On se croirait dans une cours de récréation d’école primaire : « oui mais moi je veux partir avec mon copain ».
Bref… On part donc à 4.
Et là j’ai trouvé mon maître ! D’ailleurs je serais curieux de savoir s’il a pu finir l’épreuve.
Un François Pignon (rien de péjoratif là dedans car c’est clairement un truc qui aurait pu m’arriver!!) qui a cassé son câble de dérailleur avant le départ.
Du coup il n’a plus que 52x13 ou 36x13 !
Dès le début l’entente est bonne, les relais sont constants (mais à 4 au lieu de 6 on se fatigue plus vite) et la vitesse moyenne plus faible que ce que je craignais (35 km/h), donc ça me va.
Jusqu’au km 155, lieu du premier ravitaillement, notre groupe se disloque petit à petit et nous doublons plus d’une centaine de cyclistes par groupes de 10 ou 20 ( alors qu’il est interdit de rouler à plus de 6).
D’ailleurs petit coup de gueule classique aux suceurs de roues qui ne prennent pas de relais, on est seulement trois ou quatre à emmener les sangsues. D’ailleurs un concurrent de ma vague me dit d’arrêter de prendre des relais pour ne pas me cramer, sympa comme mentalité, ça change des autres !
Du coup je remonte à la faveur de chaque bosse pour rouler seul et enfin arriver au CP1 avec Lionel qui s’est inscrit au dernier moment.
Je mange très peu (essentiellement des fruits), il commence à faire un peu chaud mais c’est très supportable et ce n’est pas pour me déplaire. Je revisse mon porte bidon qui commençait à vouloir reprendre sa liberté et repars assez vite.
Là j’ai 200 kms pour le prochain point de contrôle. Le parcours est assez vallonné et il y a à ma grande surprise très peu de plat, c’est parfait !
Je double encore une dizaine de personnes et je roulerais tout seul durant ce temps.
La chaleur est bien présente mais parfaitement supportable et je m’arrête recharger en eau et boire un Coca dans un bar. Oui, car comme un âne je n’ai rempli qu’un bidon au premier ravito !
Je me force aussi à manger une pâte de fruit et une barre qui a du mal à passer.
Apparemment je suis intercalé tout seul entre deux groupes. Du coup je temporise un peu pour me faire reprendre et profiter de l’aspiration mais ils ne reviennent pas sur moi.
J’arrive vers 19h30 au CP2 pour manger quelque chose de consistant et me poser un peu.
L’accueil des bénévoles est parfait, les gens sont prévenants et attentionnés.
Petite anecdote qui fera rire les catalans, une dame me demande si je n’ai pas été trop pénalisé avec le vent qui souffle. Euh, comment dire, il n’y a pas de vent ! Juste une petite brise rafraîchissante mais pas de vent !
Un plat de nouille chinoises, deux Red Bull (je n’en bois jamais, c’est dégueulasse) et un café et je repars en espérant que ce mélange douteux m’aidera à passer la nuit.
Je décide de ne rien prendre du sac de délestage car la température est clémente et je fais le pari de rouler en court toute la nuit, j’ai juste dans une sacoche un gilet coupe vent et des manchettes.
Les gens me questionnent beaucoup sur mon vélo et semblent un peu surpris par le fait que je sois sympa (!!!) et que je discute avec eux en prenant mon temps. Apparemment ceux de devant (je dois être dans les 10 je pense) n’ont pas le même état d’esprit…
Au moment de repartir, un jeune (encore un décidément!) me demande si on peut rouler ensemble.
C’est parfait, ce sera mieux de rouler à deux, surtout la nuit.
Deux trois kilomètres plus loin je m’aperçois qu’encore une fois j’ai oublié de recharger mes bidons, les deux en plus!). Théo (mon binôme du moment ) semble un peu juste et je décide de partir pour trouver de l’eau.
Et là petit moment de rigolade ! Je m’arrête et je m’incruste dans un mariage (je vous laisse imaginer la scène!) pour leur réclamer de quoi remplir mes deux bidons. J’en profite aussi pour me faire offrir une pression bien fraîche.
Théo me passe et je mets au moins dix bons kilomètres avant de le reprendre.
Là je dois saluer le bon état d’esprit de Théo qui n’a pas voulu que je roule avec lui car il n’avait plus trop la caisse pour prendre des relais et ne voulais pas abuser de moi (en tout bien tout honneur, bien sûr!).
Alors là, j’avoue que je m’en foutais un peu, ayant l’habitude de rouler tout le temps seul !
On roulera donc ensemble jusqu’à l’arrivée comme ça.
120 kilomètres plus loin se présente le dernier CP au km463. Le plus gros du dénivelé est fait, il ne reste plus qu’à dérouler jusqu’à l’arrivée.
La moyenne baisse petit à petit, la fatigue aidant et nous voilà tout d’un coup à rouler dans les champs !
Une petite parenthèse gravel de 4 kilomètres bien rigolote (bon, apparemment ça n’a pas fait rire tout le monde puisque notre groupe de poursuivants déviera du parcours pour l’éviter, et je pense qu’ils n’ont pas été les seuls…).
On mange vite fait trois bricoles, un café, un Red Bull et on repart.
Entre temps le groupe derrière nous est arrivé.
Au moment de repartir je conseille à Théo de se couvrir un peu. Bon, il triche, il est de Colmar, bien habitué au froid !
Là un gars hallucine lorsqu’il voit que je suis en fixe. Je dois même lui passer le vélo pour qu’il contrôle qu’il n’y a pas de roue libre ! Ça m’a bien fait marrer !
J’enfile aussi mon gilet mais reste bras nus sans gants.
On repart donc pour cette dernière ligne droite de 200 kilomètres en direction d’Issy les Moulineaux, arrivée de ce Bordeaux Paris millésime 2022.
Au menu, la traversée de la Beauce. Oui, je vends du rêve là !
Heureusement qu’on l’a faite de nuit sinon j’y serais encore. Du plat, des champs, des hameaux, du plat, des champs, des hameaux. Et tout ça pendant 150 bornes !
Là le mélange Red Bull, café soluble commence à faire son effet : j’ai le bide en vrac !
A la faveur d’un arrêt indispensable (je vous laisse deviner lequel!) le groupe nous poursuivant nous double et on ne les rattrapera pas, ils sont une petite dizaine et vont forcément bien plus vite que nous.
Pas grave, à vrai dire je m’en tamponne un peu du classement. Mon seul objectif étant de terminer en moins de 24h00.
Et là mon petit Théo, tout Colmarien qu’il est, et bien il a froid ! Du coup je lui passe une veste coupe vent que j’avais dans la sacoche.
En plus son GPS s’est coupé et il n’a plus la trace. Mais c’est bien car au moins il accumule de l’expérience. A 25 ans et vu sa résistance, il va faire de belle choses en ultra !
On entre enfin en vallée de Chevreuse pour en terminer avec cette purge qu’est cette plaine de la Beauce.
Le soleil se lève, et tant mieux car ça fait quelques heures que je me pèle ! Mais au moins ça m’a fait rester éveillé.
Cette région est très belle : boisée, vallonnée, très loin de la monotonie voisine qui nous a guidé jusque là.
Les copains du 78 m’avaient prévenus : tu vas voir ils ne vous ont pas gâté sur la fin, il y a de gros coups de cul, du 13 %, les 17 virages… Tu vas devoir mettre pied à terre.
Et, les vieux (pour une fois ça marche!), c’est pas les Alpes le 78 !!
Du coup on a repris deux concurrents qui étaient un peu cramé .
Petit et trop bref coucou d’Olivier à Versailles et nous voilà enfin arrivés au terme des 660 kilomètres de ce Bordeaux Paris 2022. 16 ème et 17 ème en à peine plus de 23h00. Objectif atteint !
En conclusion, malgré l’appréhension du départ, j’avoue que c’est une des épreuves sur lesquelles je me suis fait le plus plaisir.
Merci à l’organisation qui était parfaite à tout points de vue.
Merci à Théo aussi pour avoir partagé un bon moment.
Progrès:
Doctrine qui consiste à compliquer ce qui est simple.